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Les mystères de la Hi-Fi FLUX num. 189 - janvier 1998 Revue de l'association des ingénieurs Supélec Direction technique des produits Lavardin Technologies
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Socrate expliquait qu'en prenant conscience de son ignorance, on acquiert un peu de savoir. Savoir qu'on ne sait pas, c'est en savoir un peu plus ; (re)connaître son ignorance, c'est déjà la réduire. Cette pensée reste valable même quand le savoir existe, il faut savoir jusqu'où on sait; connaître les limites de son savoir, c'est en accroître la portée. La science progresse souvent par la découverte puis par l'exploration des "terrae incognitae" du. C'est particulièrement vrai en recherche fondamentale où les progrès résultent souvent de la découverte de divergences entre la théorie et le monde réel; celles-ci montrent les limites de lois qu'on avait trop facilement crues universelles. Les ingénieurs ont un savoir plus éprouvé. En général, ils ne sont pas directement confrontés aux problèmes de la recherche fondamentale; ils mettent plutôt en uvre des techniques souvent nouvelles mais fondées sur des bases théoriques bien établies. Leur savoir pratique évolue avec le progrès des techniques et l'apparition de nouvelles technologies, et les bases théoriques qui leur permettent de gérer ces changements, sont bien fermes.
C'est ce que je croyais à la fin de mes études d'ingénieur en électronique. Mais j'ai pu constater personnellement que, parfois, ce n'est pas le cas; ceci pour avoir dû remettre en cause un élément des bases théoriques qu'on m'avait apprises ou, plus exactement, ce que j'en avait retenu. Ce fut une expérience d'autant plus pénible qu'elle eut lieu en dehors du contexte professionnel, dans le cadre de ce qui n'était à l'époque qu'un hobby (la haute fidélité), au milieu de passionnés extrémistes qui non seulement avaient souvent un niveau technique plutôt réduit, mais qui en plus me plaignaient d'être handicapé par le mien. C'est que dans ce milieu la rigueur scientifique et la rationalité semblaient hors de propos. Mais finalement, je me demande si cette confrontation n'a pas été salutaire et si elle ne m'a pas aidé dans mes recherches, alors qu'un environnement imprégné d'une bonne culture scientifique m'aurait peut-être enfermé dans mes convictions initiales.
Je crains que le monde de la haute fidélité n'ait guère évolué et qu'aujourd'hui encore, un ingénieur en électronique qui veut s'intéresser au monde de la haute fidélité et, en particulier à la hi-fi haut de gamme, n'aille de surprises en surprises. Il découvrira d'abord, en pénétrant dans une boutique de hi-fi, des matériels utilisant encore les lampes de nos grands-pères. Il apprendra que ces équipements qu'il aurait pensés plutôt réservés aux antiquaires et aux musées, se fabriquent de plus en plus (on relance même des chaînes de fabrications anciennes) parce qu'ils sont très demandés et considérés par une grande partie des amateurs comme meilleurs que les équipements à transistor utilisant les technologies actuelles. Il constatera aussi que les amateurs préfèrent les supports anciens en considérant les bons vieux disques noirs analogiques comme bien meilleurs que les CD numériques actuels. Qu'il ne s'avise surtout pas de faire remarquer que ces préférences vont à l'encontre des mesures universellement admises pour estimer la qualités des matériels électroacoustiques. On lui rétorquera qu'il n'y entend rien et que les mesures sont sans significations, qu'ainsi, par exemple, les watt d'un amplificateur à tubes sont aussi (voire plus) puissants (!) que les dizaines de watt d'un amplificateurs à transistor, que la seule méthode valable de juger un matériel hi-fi est l'oreille et qu'il existe des spécialistes (des gourous? ) ayant l'oreille particulièrement performante (appelés "Oreilles d'Or" dans le milieu anglo-saxon). Ces affirmations seront d'autant plus surprenantes que, dans la chaîne de reproduction électroacoustique, elles concernent principalement les éléments qu'on penserait les mieux maîtrisés: les éléments électroniques. Une autre source d'étonnement sera les liaisons entre appareils: notre ingénieur apprendra que celles-ci sont très importantes pour la qualité sonore, qu'un câble peut être très bon ou très mauvais (indépendamment de toute mesure ou explication logique). Il découvrira une notion nouvelle en électronique, le sens des câbles. Il est extrêmement important de brancher un câble apparemment identique à ses deux extrémités, dans le bon sens. Et pour finir, on lui expliquera que les fils secteur ont également une importance non négligeable sur le son des équipements qu'ils alimentent, et il aura le sentiment de toucher le comble de l'absurde quand il apprendra que le sens dans lequel la prise de courant est enfichée est essentiel. Si, après l'utilisation de ces équipements, il s'intéresse à leur conception, il constatera que l'irrationnel semble sans limite et qu'ils sont conus selon des règles différentes de celles utilisées pour tous les autres matériels électroniques. Les composants sont choisies selon des critères ésotériques qui se réclament de l'empirisme dans le meilleur des cas. On sait (d'où? pourquoi? ) que tel modèle de résistance fabriquée dans telle usine est bien meilleure qu'une autre de même technologie mais fabriquée dans une autre usine (sans doute, les soirs de pleine lune!). Tel transistor d'origine japonaise et qui, malheureusement, ne se fabrique plus doit être considéré comme infiniment meilleur que ses équivalents ayant les mêmes caractéristiques électriques. De toute faon le meilleur composant actif est une certaine triode fabriquée avant guerre par Western Electric et dont les derniers exemplaires s'arrachent à prix d'or (bienheureux celui qui a racheté le stock à la fermeture des usines). Les circuits sont également l'objet de règles aussi impérieuses que surréalistes, par exemple: les circuits doivent être simples car chaque composantes apporte sa contribution à la dégradation du signal. Le parcours de celui-ci doit être, pour les mêmes raisons le plus court possible. Une autre règle (malheureusement contradictoire de la première) veut que les circuits symétriques soient meilleurs que les circuits asymétriques. En plus, il ne faut surtout pas utiliser de contre-réaction. On enseigne dans les écoles comment ce procédé permet d'améliorer la linéarité et la bande passante des circuits qui l'utilisent, mais on oublie de préciser combien cela est néfaste pour les signaux audio. Enfin une alimentation qui se respecte, se doit d'être surdimensionnée, car le son ne peut bien prendre son envol qu'en s'appuyant sur une alimentation de poids démesuré. Bref, cet ingénieur aura le sentiment que la haute fidélité est en plein Moyen Age, au temps des alchimistes et de la poudre de mandragore. Plus positivement, Jean-Marie Piel constatait, dans un de ses éditoriaux de Diapason (n 426. mai 1996) , qu'en hi-fi, " Les ingénieurs ont troqué la blouse du scientifique contre la toque du cuisinier ! A partir de recettes connues et cent fois expérimentées, ils ont essayé de nouveaux plats. Parfois avec succès, en utilisants des composants choisis avec goùt, avec quelques astuces et tours de main, le tout peaufiné à l'oreille. De vrais artistes dont les moins sains psychiquement se sont, hélas ! pris parfois pour des gourous...En attendant la hi-fi haut de gamme est devenu au mieux un art, au pire de la mauvaise cuisine ". Face à cette situation, la tentation est grande de rejeter tout cet obscurantisme et de n'y voir qu'un avatar supplémentaire d'une certaine culture anti-progrès qui prône le retour à des valeurs ancienne et perdues. Ce qui permet à des gens peu scrupuleux de se remplir les poches en exploitant un public naif et incompétent auquel on fait croire entendre ce qu'il veut entendre.
Pourtant, on peut être ébranlés par certains faits. Même si la thématique de l'âge d'or est bien vivante et si la nostalgie enjolive un passé dont on a vite oublié tous les inconvénients, tous les produits "à l'ancienne" proposés aux consommateurs ne sont pas des escroqueries, les techniques modernes ont souvent tendance à favoriser la productivité aux dépens de la qualité. On conoit bien qu'un poulet, élevé dans un espace très restreint et nourri de farines animales mélangées à ses propres excréments, n'ait pas le même goùt que son homologue nourri au grains et en plein air. Un meuble fait avec du bois qui a pris le temps de sécher, sera plus stable dans le temps qu'un meuble fait avec du bois étuvé (ceci dit, un meuble réalisé avec du bois étuvé, puis vieilli artificiellement et percé de faux trous de ver se vendra peut-être mieux). Des tomates ou des fraises sélectionnées, cultivées et cueillies de manière à favoriser leur résistance aux stockages de la distribution ne sont probablement pas celles qui auront le meilleur goùt.
Il y a déjà eu des tentatives de rationalisation de tel ou tel partie du problème, mais une analyse critique des explications avancées montre qu'elles ne résolvent pas grand chose. Ainsi certains ont voulu expliquer les contradictions entre les chiffres de distorsion et les résultats d'écoute en faisant intervenir la nature des distorsions. Ils nous expliquent que tous les signaux harmoniques ne sont pas égaux devant l'oreille, que les harmoniques impaires sont plus agressives et les harmoniques de rang élevé bien plus nocives. On peut se perdre en savantes considérations sur la perception des harmoniques pour essayer de tenir compte d'un nombre croissant de cas de figures, mais cela fini par ne plus être crédible et, de toute faon, cela n'expliquerait qu'une partie du problème.
J'ai cherché à traiter les mystères de la hi-fi avec rationalité, mais il m'a fallu beaucoup de temps pour prendre le problème par le bon bout. Pour commencer, il faut sortir du subjectif. En effet, ce qui rend ce problème difficile à traiter c'est l'absence d'éléments objectifs. Ces éléments objectifs doivent, d'une part, être fournis par la mesure qui sert à caractériser le réel, d'autre part, analysés dans les circuits électroniques, et enfin, expliqués par la psychoacoustique qui doit comprendre le ressenti. Si les mesures, les circuits et la psychoacoustique ne donnent pas satisfaction, il faut les remettre en cause en commenant par les mesures. Le premier point à comprendre, c'est l'échec des mesures actuelles.
Pour mesurer la distorsion linéaire on considère le circuit à mesurer comme parfaitement linéaire. Une sinusoide étant définie par sa fréquence, son amplitude et sa phase, une distorsion linéaire peut affecter l'un de ces paramètres. La distorsion de fréquence est connue, elle concerne principalement les systèmes d'enregistrement et de lecture; dans les circuits, elle ne correspond à aucun phénomène connu et n'est jamais mesurée. La distorsion d'amplitude est bien connue, elle est la mesure de base pour la distorsion linéaire. La distorsion de phase est connue mais beaucoup moins pratiquée: on a constaté qu'elle est très liée à la distorsion d'amplitude et que l'oreille y est peu sensible. Est-ce bien sur? un circuit théorique comprenant une ligne à retard qui additionnerait au signal ce même signal retardé et atténué d'au moins 20 dB, en est un fâcheux contre-exemple théorique. Avec des signaux sinusoidaux, les effets du signal retardé par la ligne à retard se limitent à de très légères variations de niveau et de phase qui permettent à ce circuit de passer avec succès les critères d'audibilité de distorsion. Avec des signaux audio (variés en amplitude et en fréquence), il n'en va plus de même, il y a génération d'un écho qui en fonction de la valeur du retard sera perçu comme un écho, une réverbération ou une distorsion. Cet exemple n'est que théorique mais il est très intéressant. Il montre la distance qu'il y a entre une possibilité théorique - la transformée de Fourier et sa transformée inverse établissent une relation stricte entre le domaine temporel et le domaine fréquentiel et font que tout circuit linéaire est parfaitement défini par son comportement sur les signaux sinusoidaux - et la réalité pratique qui fait que le comportement réel du circuit n'est pas bien analysé par les mesures habituelles parce que la notion de temps a été perdue. Les mesures d'amplitude (et de phase quand elle sont faites) ne représentent en fait qu'un échantillonnage limité et entaché d'imprécisions de mesure qu'on interprète en fonction d'une connaissance qu'on suppose avoir du comportement du circuit.
Pour les mesures de distorsion non-linéaire, l'hypothèse du circuit presque linéaire peut sembler audacieuse. Les théories de Fourrier n'apportent plus aucun support théorique à l'utilisation de signaux sinusoidaux. Peut-on encore parler de la distorsion d'un circuit sans préciser le signal? C'est ce qui est fait dans la pratique en utilisant une connaissance a priori des causes de non-linéarité. Celles-ci résultent d'une fonction de transfert non-linéaire. Mesurer la distorsion d'un circuit, c'est caractériser la forme non-rectiligne de sa fonction de transfert. Il y a une corrélation stricte entre la forme de cette courbe et l'évolution des distorsions des signaux sinusoidaux en fonction du niveau du signal. Les conséquences de l'identification des limites des mesures actuelles de distorsion sont considérables. On ne se fait plus piéger par les ambiguité du mot distorsion. Des arguments techniques qui semblaient irréfutables perdent toute valeur quand on comprend qu'ils ne concernent qu'UNE distorsion bien particulière alors que ceux qui les énoncent pensent traiter de LA distorsion dans toute sa généralité. Il n'y a plus de mystères en hi-fi, mais seulement des phénomènes physiques, électriques ou psychoacoustique qu'il faut identifier, mesurer, analyser et expliquer pour savoir les maîtriser afin d'améliorer la qualité des matériels audio. Il redevient possible de discuter, aussi bien avec ceux qui favorisent l'approche métrologique, qu'avec ceux qui n'écoutent que leurs oreilles. Ces deux approches redeviennent compatibles. Les erreurs des extrémistes de chaque bord qui avaient tendance à diaboliser l'autre bord, deviennent évidentes: ceux qui ont cru par la précision de leur mesure ("Ultra-Low-Noise Amplifiers and Granularity Distortion", D. Self, J. Audio Eng. Soc., vol 35, pp907/15 march 1977) montrer que les audiophiles avaient tort se sont trompés; ceux qui ont cru que la mesure est, par nature, incapable de comprendre les différences perceptibles à l'écoute, étaient dans l'erreur. Beaucoup de choses sont remises à plat. Il faut reconsidérer d'un il neuf non seulement la métrologie (mesurer tous les phénomènes), mais aussi les circuits (analyser ce qui s'y passe réellement) et la psychoacoustique (mieux expliquer ce qu'on entend). Une nouvelle voie est ouverte entre l'empirisme et la pseudo-rationalité. L'empirisme des audiophiles leur a permis de progresser rapidement au début et d'aboutir à des résultats spectaculaires, mais cette démarche est sérieusement limitée par des handicaps majeur: on ne peut pas tout essayer et, lors des essais, il est difficile de maîtriser tous les paramètres. En voulant analyser l'importance d'un paramètre, on est presque inévitablement amené à modifier de nombreux autres souvent jugés sans importance et parmi ceux-ci peut se glisser un paramètre très significatif qui fausse les essais. Nos recherches ont révélé que beaucoup de paramètres réellement significatifs étaient ignorés des audiophiles mais que souvent ils en avaient remarqué les effets en les attribuant à d'autres causes. Un autre écueil du "tout subjectif" est qu'en fonction du contexte, une amélioration peut être jugée favorable ou défavorable (nous reviendrons sur ce point). Les résultats de cette approche consistent surtout en des matériels souvent surprenants mais uniques, optimums locaux difficiles à reproduire et incompatible de toute réalisation industrielle (pour les composants, la technologie de câblage et souvent la complexité), utilisant un certain nombre de recettes magiques qui marchent dans ce contexte très précis mais pourront ne pas marcher ailleurs. La pseudo-rationalité prisonnière de l'utilisation des signaux sinusoidaux et des mesures traditionnelles a conduit à des impasses, comme par exemple, la recherche de spectres de distorsion particuliers. L'analyse savante des spectres de distorsion est une erreur tant que l'on ne sait pas si la fonction de transfert correspondante est stable ou non. En ce qui concerne la métrologie et l'étude des circuits, après avoir compris que la distorsion avait plusieurs formes, nous nous sommes attachés à identifier les phénomènes physiques à l'origine des différences subjectives et à comprendre leurs mécanismes d'action. C'est un gros travail, toujours en cours, avec ses déceptions et ses succès. Nous avons déjà définis plusieurs appareils de mesure originaux pour compléter les mesures traditionnelles; celles-ci gardent leur intérêt quand leurs limites sont bien identifiées. Les premiers résultats obtenus concernaient l'instabilité de la fonction de transfert des circuit, elle explique déjà beaucoup de l'engouement pour les tubes. Les analyses que nous avons effectuées sur les circuits électroniques montrent qu'il y a plusieurs causes pour rendre variables les fonctions de transfert. Ces variations restent normalement d'amplitude limitée (et donc relativement discrètes, sauf dans notre circuit contre-exemple) mais sont bien réelles. On peut être surpris qu'on ne les ait pas remarquées dans d'autres domaines de l'électronique. Je pense que cela est du à une spécificité des circuits audio: on leur demande simultanément une précision élevée (une dynamique de 92 dB pour le standard CD) et très large bande (16 Hz-16 kHz représente une bande relative gigantesque de 10 octaves, équivalente à une bande radio allant de des bandes HF, VHF aux bandes radar X). Je ne sais pas s'il existe d'autre domaine de la physique présentant cette combinaison difficile pour la mesure. Nos études nous ont montré que les instabilités de la fonction de transfert que nous avons trouvées étaient souvent liées à la valeur récente du signal traité. Cette constatation et l'observation de distorsions linéaires mal prises en compte par les mesures classiques conduisent au concept général de distorsion de mémoire. La mémoire des circuits pouvant intervenir sous forme de mémorisation du signal comme dans le contre-exemple théorique des mesures de distorsion linéaire (cette mémorisation pouvant, en outre, être non-linéaire) ou sous forme d'intermodulation entre le signal présent et le signal passé comme dans notre circuit contre-exemple des mesures de distorsion non-linéaire. La mise en lumière des limites des mesures traditionnelles en audio et l'utilisation du concept de distorsion de mémoire sont très féconds. Ainsi, nous avons identifié trois raisons pour lesquels les circuits à transistor pouvaient avoir plus de distorsion de mémoire que leur homologues à tube. La première est spécifique au composant lui-même; la seconde est lié aux schémas d'utilisation différents pour le tube et le transistor; et la dernière est liée à la mise en uvre des circuits. Nous n'analyserons ici en détail que la première car elle est très caractéristique de la manière dont l'approche traditionnelle des circuits (en pensant uniquement à des signaux sinusoidaux) ne permet pas d'envisager toutes les conséquences de phénomènes pourtant bien connus. Car la principale cause de mémoire des signaux dans les transistors est connues de tous: c'est la sensibilité des caractéristiques du transistor à la température. En effet, la puissance dissipée dans le transistor est fonction du signal. Cette puissance induit une évolution de la température de jonction qui influe sur les caractéristiques du transistor. Comme les phénomènes thermiques ont une certaine inertie liée à la capacité calorifique du matériau semi-conducteur et à la diffusion de la chaleur dans le transistor. Cette mémoire thermique et les interaction thermoélectrique réalise une mémoire électrique fugitive. Il n'y a là rien de mystérieux, tout cela est évident et déjà connu sous le nom de distorsion thermique, mais les conséquences en sont moins évidentes. En général, les électroniciens ne se préoccupent guère des effets de cet auto-échauffement, ils sont beaucoup plus sensibles à la dérive des transistors sous l'effet des échauffements extérieurs. Les fabriquants d'oscilloscope s'en soucient un peu ("Chip, CRT, and assembly automation bribg a new era of portable scopes", C. Brannon, Electronics, feb. 10, 1983) car les erreurs produites par la mémoire des transistors peuvent se voir sur les signaux carrés. Pour les signaux sinusoidaux les petites variations d'amplitude et de phase sont si faibles qu'elles restent très discrètes pour les mesures traditionnelles et quand des ingénieurs audio s'intéressent à la distorsion thermique ("Measurement of Small Time Constants of the Thermal Impedance of Bipolar Transistors with an Audio-analyser", presented at the 98th convention AES, Paris feb. 1995) , ils continuent à penser de manière sinusoidale. Ces phénomènes sont quantifiables : nous avons fait de nombreuses mesures et des simulations sur ordinateur. Elles n'ont rien révélé d'imprévisible pour le comportement des transistors bipolaires courants. En revanche, le comportement des transistor à effet de champ est beaucoup plus complexe, mais ceux-ci ont moins de mémoire. Ainsi le transistor jugé le meilleur par les audiophiles a une mémoire remarquablement faible. Nous avons vérifié avec des essais sur un tube que ceux-ci, comme le laissait prévoir l'analyse physique de leur fonctionnement, n'étaient pas le siège de phénomènes de mémoire liés à une distorsion thermique. Ces résultats sont remarquablement corrélés avec les jugements empiriques portés par les audiophiles sur l'impact du choix des composants actifs sur la qualité sonore des circuits. Mais nous avons tout de même vérifié que ces phénomènes étaient bien audibles. Nous avons également analysé leurs effets sur le fonctionnement global des circuits. Cette analyse, qui a montré par quels mécanismes ces effets étaient amplifiés par la contre-réaction, a été vérifiée par des mesures spécifiques: ces phénomènes se manifestent bien en sortie des circuits.
Nous savons aussi expliquer pourquoi les amplificateurs à tube donnent l'impression d'être plus puissants: ces phénomènes de mémoire croissent très vite avec l'amplitudes des signaux, en particulier la saturation perturbe beaucoup les amplificateurs à transistors et on entend très bien, non pas la saturation elle-même (inaudible quand elle est brève et non répétitive), mais la mémoire de celle-ci (qui peut durer très longtemps). On notera qu'une étude (théorique ou métrologique) de la saturation faite avec des signaux sinusoidaux ne peut révéler ces phénomènes; le signal sinusoidal ignore le temps, il ne connaît que la phase. Cette analyse est confirmée par le fait qu'un amplificateur à transistor ayant peu de distorsion de mémoire et dont la saturation est maîtrisée donne aussi l'impression d'être plus puissant que ne l'indique la mesure de sa puissance électrique. |
.../... Nos travaux mettent en lumière certaines erreurs faites sur la distorsion thermique : certains pensent lutter avec succès contre elle avec de simples montages cascode. Nos mesure montrent que ce circuit ne permet de réduire les phénomènes de mémoire que d'un facteur 10 au mieux (chiffre confirmé par le calcul théorique); nos essais ont montré qu'à ce niveau, ils restaient très audibles. Des circuits spéciaux que nous avons développés permettent une réduction de la distorsion thermique supérieure à un facteur 1000; cette réduction semble nécessaire pour s'affranchir des effets sonore de cet handicap des transistors. D'aucuns proposent de lutter contre la distorsion thermique en soignant le refroidissement des transistors ou en tenant compte de la température du transistor; malheureusement les phénomènes thermoélectriques responsables du phénomène interviennent au niveau des jonctions, au cur des transistors et ces dispositifs qui interviennent au mieux à la périphérie du transistor ne saurait intervenir que sur la mémoire à relativement long terme (à l'échelle du phénomène) alors que celle-ci n'a plus qu'une faible amplitude et que ses effets principaux ont déjà eu lieu. Au pire, ils perturbent le fonctionnement du circuit.
Notre connaissance des phénomènes réellement mis en jeu dans les circuits, associée à une métrologie nouvelle permet, à la grande surprise des audiophiles, la conception de circuits bons à l'écoute sans essais subjectifs préalables. La rationalité est plus efficace que l'empirisme ou la recopie stérile du passé. Cette dernière peut conduire à des erreurs. L'utilisation de tubes électroniques n'est pas un moyen magique pour obtenir des appareils de bonne qualité: il existe même sur le marché des amplificateurs à tube qui ont un son exécrable. La réplique des anciens amplificateurs n'est pas toujours absolument fidèle, et nos études nous rendent sceptiques quant à leur qualité sonore à la suite des quelques évolutions mineures qui ont eu lieu (pour des raisons industrielles ou par zèle maladroit?)
En ce qui concerne la psychoacoustique, deux points ont retenu mon attention. Premièrement, la constatation des erreurs de raisonnement auxquelles conduisait, en électronique, l'utilisation, en dehors de leur conditions de validité, des théories de Fourier, m'a conduit à m'interroger sur l'emploi des signaux sinusoidaux en psychoacoustique. Sans être un spécialiste de ce domaine, il m'a semblé qu'il y avait là aussi une tendance à utiliser la sinusoide comme un signal élémentaire permettant de tout analyser, et que cela induisait certaines erreurs par absence de rigueur. L'audition est un phénomène très non-linéaire, déjà au niveau le plus élémentaire et à faible niveau. L'existence d'un seuil de perception est là pour le prouver sans contestation possible. L'utilisation de signaux sinusoidaux est sans doute justifiée en audiométrie, mais vouloir utiliser ces signaux comme signaux élémentaires pour comprendre la perception auditive est ,à mon sens, une erreur. Je pense que les processus mis en uvre font rapidement intervenir, comme dans la vision, la reconnaissance des formes et que ce traitement (totalement inconscient) est essentiellement non-linéaire. Nous ne ressentons qu'une information recrée sans avoir accès à la perception brute. Ainsi la vision nous présente un monde resynthétisé dans notre champ perceptif, sans que nous ayons conscience des petits mouvements que font nos yeux pour acquérir les informations présentées de manière continue par la vision. Il y a des illusions sonores comme il y a des illusion d'optique. Il devient alors évident qu'on ne peroit pas le monde réel mais son interprétation qui est manifestement erronée dans ces cas-là. Il y a de nombreux points communs entre les traitements utilisés par la vision et l'audition; il y a beaucoup à apprendre sur l'audition en prenant connaissance des études faites pour la vision. Ces études sont nombreuses. Il est admis que la vision est un processus complexe et on n'utilise pas la notion de signal élémentaire. Pour l'audition, c'est tout le contraire: peu d'études, une conception simpliste de l'audition et beaucoup les sinusoides. Je pense toutefois qu'il y a deux différences essentielles entre l'audition et la vision: d'abord l'audition est prisonnière du temps, l'objet sonore (à quelques exceptions près, souvent des artefacts de la civilisation) n'existe que dans la fugitivité. On ne sait pas s'arrêter sur un son. Les moyens d'enregistrement permettent de revenir sur un son, de le répéter, pas de le figer. Le jugement porté sur un son fait forcement intervenir la mémoire, un son peru dans sa durée est aussi un souvenir. Le second point qu'il me semble important de noter est que l'audition intervient dans notre cerveau à un niveau plus élémentaire: La vision semble plus proche du rationnel, de l'intelligence, l'audition plus proche de l'affectif. Le son sait mieux nous émouvoir, c'est la raison d'être de la musique (et de la reproduction électroacoustique). En second, je crains qu'il ne faille revoir ce qui a été dit sur la perception de la distorsion, car les études faites sur la perception de la distorsion pour les signaux non-sinusoidaux, sont entachées des erreurs des mesures traditionnelles de la distorsion non-linéaire. Notre meilleure compréhension des phénomènes de distorsion, nos appareils de mesure originaux et nos propres expériences nous autorisent probablement une appréhension de ce problème plus conforme à la réalité. La perception de la distorsion n'est pas un problème simple et sa complexité est encore accrue si on veut traiter non seulement le peru mais aussi le ressenti. Ceux qui auraient voulu que ce problème soit simplement linéaire et qu'il suffise d'ajouter les effets des perceptions des différentes distorsions pour obtenir la perception globale vont être déus. En effet, ce serait si simple s'il suffisait d'ajouter les valeurs des distorsions des éléments d'une chaîne pour obtenir un chiffre correspondant bien au jugement global subjectif! Je crains que ce ne soit plus compliqué. D'abord, la distorsion est pluriforme, il y a plusieurs types de distorsion avec leurs effets propres et leurs interactions entre elles. Une quantification commune à tous les types de distorsions n'est pas évidente. Traditionnellement, on utilise l'énergie des signaux pour la quantification de la distorsion. Cette approche n'est pas satisfaisante car elle considère que l'audition travaille principalement sur des niveaux d'énergie. Je pense que l'oreille travaille plutôt sur de l'information et que la nuisance des distorsions s'exprimerait en accroissement de l'entropie plutôt qu'en énergie: l'oreille sait apprendre et saura gérer une déformation réversible (par apprentissage) qui modifie l'information sans en détruire une partie; au contraire elle aura du mal à démêler les effets conjugués de plusieurs distorsions, car difficilement réversibles. Ensuite la perception de la distorsion est hautement non-linéaire avec des effets de seuils et des effets de masques. L'audition ne se réduit pas à une analyse spectrale mécanique. C'est un processus mettant en uvre des traitements complexes, intelligents, qui savent "apprendre" et reconnaître. Heureusement ces traitements sont inconscients. On ne prend connaissance que d'une partie leurs résultats (les effets subliminaux, bien connus pour la vision, existent aussi pour l'audition et montrent les limites du champ de la conscience dans la perception). Ces traitements consomment de l'énergie et si ils font trop fonctionner la machine nerveuse, ils fatiguent. Trop de distorsion rend l'écoute d'une chaîne fatiguante, c'est un signe qui ne trompe pas. Cette perception non-linéaire se traduit par deux seuils importants: en dessous du premier seuil, la distorsion est réversible, elle reste inconsciente. Au dessus de ce seuil la distorsion n'est perue que comme une modification de la perception plus ou moins évidente; l'objet sonore recréé dans notre champ perceptif est modifié mais sa fugacité rend cette modification discrète. Au delà du second seuil, on peroit un son désagréable, l'objet sonore est peru comme fortement déforme ou mutilé par un son qui lui semble extérieur; cette sensation est nettement reconnue et souvent prise comme étant la seule distorsion perue.
La tolérance de l'oreille à la distorsion et ses limites, qui se manifestent dans ces deux seuils, correspondent à la capacité des traitements mis en jeu, à construire (en temps réel) à partir des informations brutes et entachées de nombreuses erreurs (y compris celle du capteur) et d'informations contenues en mémoire ou provenant des autres sens, un objet sonore satisfaisant ou non. Ces traitements sont peu affectés par une seule distorsion, alors que la combinaison de deux distorsions aura des effets que n'auront aucune des distorsions seules. Une distorsion seule restera inconsciente, alors qu'elle sera rendue perceptible par la présence d'une autre. En plus de cet effet d'émergence, on constate aussi des effets de masque. Dans ce cas, une distorsion supplémentaire en masque une autre ou en atténue les effets (une tache se remarque plus sur une veste neuve, elle attirera plus l'il, elle choquera plus; sur une veste plus fatiguée, elle peut passer inaperue). La conséquence de ces phénomènes de masque et d'émergence est que, dans un certain contexte, une distorsion ne s'entendra pas, alors que dans d'autres cas elle s'entendra nettement. C'est une des grandes difficulté rencontrées par les analyses faites à l'oreille
Nous classons les distorsions en trois types qui sont par ordre de nocivité croissante :
- 1. Les distorsions de type mécanique :
C'est pour cela qu'ajouter, dans une enceinte, une résonance dans le bas du spectre pour obtenir une courbe de réponse jugée plus linéaire aux mesure sinusoidales est ressenti de manière négative; l'enceinte perd en neutralité et fait toujours le même "boum-boum" quand la zone de fréquence concernée est sollicitée par le signal. Les distorsions générés par les locaux dont nous n'avons guère conscience, sont bien connues des preneurs de son; ils savent que le placement des micros a une influence sur le son qu'on ne souponne pas en déplaant nos oreilles. C'est un problème parce qu'il semble que l'oreille ne sache assez bien gérer qu'une seule cause de distorsion linéaire. En reproduction sonore, elle doit gérer l'univers de la prise de son, les enceintes et sa position dans le local d'écoute. Selon les configurations cela se passe plus ou moins bien et engendre des problèmes connus.
- 2. Les distorsions électronique analogiques :
- disparition de détails (le système auditif ne sait plus interpréter une partie des signaux reus, ceux-ci disparaissent du champ perceptif, les détails sont gommés). La note de violon est toujours perue comme une note de violon, mais les petites modulations liées au jeu de l'archet se fondent dans une valeur moyenne. Le trait est plus gros et peut sembler plus riche et donner l'impression qu'il y a plus de matière sonore. - réduction du relief. Les sons semblent issus d'un univers plus restreint, on perd une certaine profondeur de l'espace sonore. Les extinctions des notes sont abrégés. - modification du timbre. l'oreille a l'impression que la balance tonale est modifiée, que telle ou telle partie du spectre est atténué ou renforcée. - modification du rythme, disparition des nuances ( probablement lié à l'accroissement des temps de traitement dans un contexte temps réel, le signal est plus difficile à reconnaître). Ce point est très critique pour la reproduction musical car ces nuances sont porteuses d'informations essentielles dans l'interprétation affective du son: le musicien qui s'exprimait avec ses tripes devient plus philosophe et semble maintenant attendre la pause casse-crote.
- 3. Les distorsions électronique numériques :
La complexité des effets conjugués de toutes les distorsions font qu'il est très difficile de juger à l'oreille des effets d'une modification d'un circuit, ou du remplacement de l'ensemble des distorsions d'un appareil, par l'ensemble des distorsions d'un autre. Pourtant certains ne s'en tirent pas trop mal, ce sont les Oreilles d'or. Il est possible avec des dons naturels (une oreille sensible et une bonne capacité d'analyse) et beaucoup d'expérience, de ne pas être trop piégés par ses oreilles, mais nombreux sont ceux qui se laissent abuser par leur perception. La difficulté n'est pas d'entendre (je crois que beaucoup entendent beaucoup) mais d'analyser ce qu'on entend, pas ce qu'on ressent. La manière dont on ressent ce qu'on entend, est très variable. C'est aussi valable pour les effets de la distorsion. Cela fait intervenir la connaissance de l'objet sonore, la culture de l'auditeur, ses options esthétiques et ses choix par confort intellectuel ainsi que sa position psychologique par rapport au message sonore et à son contenu émotionnel. C'est très compliqué. On remarquera que les musiciens sont, ou très exigeants parce qu'ils ont une conscience accru des imperfections de la reproduction sonore (ainsi le grand chef Celibidache considérait que les enregistrements trahissaient son travail musical) ,ou très tolérants et capable de se satisfaire de reproduction de mauvaise qualité, parce qu'ils savent reconstituer les objets sonore; ce qu'il entendent n'est qu'un support qu'il savent très bien compléter sans même bien s'en rendre compte, un peu comme ils entendent la musique en lisant une partition. La distorsion n'est pas toujours ressentie négativement: elle est souvent appréciée comme un enrichissement par les musiciens qui utilisent l'électronique dans leurs instruments. Certaines personnes aiment écouter leur chaîne hi-fi à un niveau élevé; cela correspond à une gestion de la distorsion de leur amplificateur de puissance; la plupart des amplificateurs distordent et le son varie avec le réglage du niveau. Le niveau utilisé est un compromis entre deux désagréments: à trop fort niveau, la distorsion de la saturation est désagréable, à faible niveau, la distorsion (bien que plus faible) est jugée plus désagréable, le son est peru comme moins riche. Un amplificateur qui ne distord pas délivre un son qui ne varie pas avec le réglage de niveau, on ne ressent pas le besoin de pousser le niveau et toutes les nuances restent audibles à faible niveau.
Quand on veut améliorer la qualité de la reproduction musicale, je pense qu'il faut rechercher la distorsion minimale. Il ne faut pas chercher à compenser (par exemple, favoriser une distorsion qui anesthésie la musique pour moins ressentir une distorsion qui donne l'impression d'accélérer le jeu). Cette stratégie peut donner l'impression d'une amélioration, mais elle atteint rapidement ses limites (on ne peut plus améliorer la chaîne de reproduction) et conduit à une écoute qui fatigue. Il ne faut pas, non plus, rechercher une distorsion agréable qui simplifie les choses en douceur. La qualité en hi-fi, c'est un peu comme sa place dans la salle de concert; une mauvaise reproduction qui fait perdre des informations correspond aux mauvaises places où on entend moins bien, d'où on repart un peu fatigué d'avoir tendu l'oreille. Une très bonne reproduction correspond aux meilleurs places, on entend plus de choses. Certes, entendre dans un disque ou au concert la mécanique du piano ou les grincements des chaises, ce n'est pas important, mais tout entendre cela veut aussi dire entendre tous les instruments que le compositeurs a voulu, cela veut dire entendre les moindre nuances du jeu des artistes, profiter de ce qui fait un grand interprète. Cela est important pour la valeur artistique, pour l'émotion ressentie pour Celibidache, c'était capital!
Je ne pense pas qu'une chaîne puisse être trop fidèle, donner trop d'informations. Une chaîne qui distord modifie le contenu du signal sonore, altère le message musical que le preneur de son a capturé, trahit le contenu émotionnel, éloigne des interprète. Une chaîne doit être la meilleure possible, même si certains disques doivent en souffrir parce qu'ils montrerons alors toutes leurs faiblesses. Si ils ont un réel contenu artistique, il ne peuvent rien gagner au flou d'une mauvaise reproduction, au contraire ce maquillage qui peut donner une impression favorable leur fait perdre un peu de leur âme. En hi-fi, la technique doit servir la musique.
Cette conception à la fois technique et esthétique est maintenant concrétisée dans des produits commercialisés sous la marque Lavardin Technologies. Ceux-ci sont conçus et fabriqués dans une nouvelle société à la création de laquelle j'ai participé. Celle-ci met en uvre des méthodes de conception très nouvelles. Nous utilisons une connaissance physique poussée des phénomènes intervenant dans les circuits et les composants, puis cette connaissance est validée par une métrologie rigoureuse. En effet, prétendre comprendre et maîtriser un phénomène qu'on suppose être l'explication d'une constatation subjective sans métrologie associée, uniquement par la validation à l'écoute, c'est retomber dans l'empirisme et la fausse rationalité. Nous ne rejetons pas les recettes de cuisine qui traînent dans le milieu audiophile, mais nous ne les appliquons pas en tant que telles. En revanche, nous les analysons avec grand intérêt: toute recette dont nous ne comprendrions pas la raison rationnelle et dont nous ne saurions pas mesurer les effets et préciser le champ d'application est un défi et une source potentielle de progrès. Nous ne concevons pas d'appareil à l'écoute, mais celle-ci est largement utilisée, d'une part pour vérifier en complément de la métrologie les théories que nous élaborons (essais de type élémentaire, dans lequel nous cherchons avec une rigueur absolue à ne faire évoluer qu'un seul paramètre ), d'autre part pour évaluer globalement nos appareils et vérifier que nos choix avec leurs conséquences sur la qualité (et sur les prix) correspondent bien à notre attente (essai de type global). Dans tous ces essais, la métrologie est capitale car elle offre un point de repère indispensable pour ne pas se faire piéger par nos oreilles. La métrologie tant décriée par les audiophiles (non sans raisons, nous avons vu pourquoi) redevient un atout. Juger un appareil seulement à l'oreille, même si celui-ci est fait pour l'oreille est très incertain. Les résultats dépendent tellement du contexte; est-il possible de définir un avis général sans multiplier les essais? Ceci est encore plus vrai pour les meilleurs appareils pour lesquels les points de repère manquent. Une amélioration objective peut aboutir dans un contexte donné à une régression partielle. De la même manière, dans un autre domaine, l'amélioration du grain d'une pellicule photo peut révéler des aberrations chromatiques d'un objectif, qu'on ne pouvait souponner avant. Comment savoir alors sans métrologie si le défaut constaté d'une manière globale provient de la nouvelle pellicule ou de l'objectif? Ce problème n'est pas une vue de l'esprit. Je me souviens d'essais faits lors d'une démonstration d'amplificateur. L'utilisation d'un meilleur amplificateur avait spectaculairement amélioré l'écoute sur certains disques, alors que pour d'autres ils avait fait apparaître des défauts. L'assistance (des passionnés de la prise de son) avait alors expliqué cela par l'âge des enregistrements ou par des défauts de prise de son (micro trop près de la contrebasse pour un disque, par exemple). Le remplacement du lecteur de CD utilisé (pourtant un modèle d'origine suisse réputé dans le milieu professionnel et longtemps utilisé comme référence par un critique hi-fi) par un modèle plus modeste mais dans lequel quelques modifications réduisaient des distorsions particulières dont la distorsion de mémoire, a tout changé. Les disques sans problème se sont révélés encore plus beaux et, pour les autres, les problèmes avaient disparus ou avaient complètement perdu leur caractère agressif (la contrebasse avait retrouvé une taille raisonnable). L'amplificateur avait simplement mis en avant des défauts du lecteur mal identifiés avec une électronique moins performante. Quand je lis qu'un critique de matériel hi-fi, six mois après avoir porté aux nues un appareil, considéré depuis comme une référence, écrit dans la critique d'un autre appareil que le premier est finalement fatiguant à l'écoute, je ne peux pas m'empêcher de penser que même les meilleurs et les plus honnêtes ne sont pas à l'abri des pièges de la subjectivité. Parmi les critères possibles pour juger un matériel notre expérience nous a conduit à ne retenir que des critères sûrs. Le premier critère est la quantité d'informations; on doit entendre beaucoup de détails sans effort et les notes doivent se détacher dans un espace très profond. Le second est le respect des nuances même très légères et en particulier des nuances rythmiques si importantes pour l'expression. Nous recherchons également l'absence de constantes; d'un enregistrement à l'autre, l'ambiance doit totalement changer. Nous testons ces paramètres surtout par des écoutes comparatives sur des débuts de plage des disques ( de quelques secondes à quelques minutes selon les cas, en alternant le sens de l'écoute qui est très important. Ce type d'approche minimise l'intervention de la mémoire et constitue un test beaucoup plus sensible et fiable que l'écoute dans l'absolu. Nous prenons aussi en compte un critère moins couramment utilisé car il réclame du temps: l'agrément doit résister au temps; une écoute prolongée ne doit induire ni fatigue, ni lassitude; les détails ne doivent pas devenir agressifs. L'émerveillement doit se renouveler chaque jour sans se tarir. Cela nous fait travailler presque tout le temps en musique. En revanche, Il est des critères dangereux à utiliser car susceptibles de nous induire en erreur. Parmi ceux-ci, il y a la clarté et le timbre. Une impression de clarté peut résulter de perte d'informations et de la simplification de l'objet sonore. Quant au timbre, c'est un résultat global qui implique tous les éléments mis en jeu entre l'instrument et l'oreille. C'est comme la couleur dans la chaîne de l'image. Pour la maîtriser, on utilise une métrologie stricte et des calibres rigoureux à tous les niveaux. Il n'existe rien d'équivalent en audio. Vanter le timbre d'un équipement audio n'a pas de sens. Dire qu'un équipement respecte ou non les timbres ne me semble pas sérieux, même au niveau de la prise de son. C'est, au mieux, faire référence à un environnement précis qui n'a pas valeur de référence, au pire, essayer de faire référence à un environnement moyen qui n'existe jamais.
Autre critère dangereux, la musicalité. Ce sentiment fait intervenir des critères très subjectifs, très personnels, très affectifs même. Il implique la culture et les choix esthétiques de celui qui écoute. J'ai constaté qu'assez souvent une dégradation objective conduisait certains au sentiment d'une meilleure musicalité; une très légère distorsion enjolive le signal. C'est la même chose pour la vision: un photographe est devenu célèbre pour ses photographies rendues plus "artistiques" grâce au flou provoqué par de la buée sur ses objectifs. J'ai lu que dans l'art japonais "une légère imperfection ajoute alors à la beauté une note mystérieuse, générant le "yûgen", sentiment esthétique, suggestif et inexplicable". C'est une attitude légitime en création artistique, mais, dans le cadre de la reproduction, cela ne nous semble pas défendable. Nous ne voulons pas entrer dans ce jeu et trahir le message musical, pour des raisons techniques, esthétiques et morales.
Enfin la chaleur que certains ressentent et vantent comme une qualité des tubes ne semble n'être que la traduction d'une distorsion important mais plaisante.
Le premier fruit de cette démarche est un ampli-préampli intégré, le "Model IT" . Il utilise bien sûr des transistors et des composants "courants" mais choisis selon des critères bien particuliers. En outre, en dehors des alimentations et du circuit de temporisation d'allumage, il n'y a pas de condensateurs chimiques; il n'y a aucun condensateur sur le trajet du signal (ce n'est pas une recette, mais un choix technique rationnel). Ses circuits utilisent des contre-réactions ayant des taux très élevés. Pourtant les audiophiles lui reconnaissent, au plus haut degré, les avantages que leurs oreilles attribuent aux amplificateurs sans contre-réaction. Son alimentation a une taille raisonnable. Il peut délivrer un peu plus de 2 fois 50 W et, comme il ne présente pas de distorsion de mémoire même lors des saturations, il donne la même impression de puissance qu'un amplificateur de 200W. Sa distorsion mesurée de manière classique est au delà des possibilités des appareils de mesure courants et cela jusqu'à des niveaux très élevés. Comme la fonction de transfert est stable, cette mesure est significative. Il n'est réellement pas sujet aux effets de mémoire de la distorsion thermique des transistors. J'écris réellement parce que cela est confirmé par la métrologie; j'ai lu que d'aucuns prétendent être parvenu au même résultats alors que leurs appareils présentent des défauts de transparence qui s'inscrivent en faux contre cette prétention. C'est, au mieux, le résultat d'une démarche empirique validée à l'oreille qui a abouti à des conclusions erronées. Notre but était clairement de réaliser le meilleur amplificateur au monde et tout semble indiquer que nous avons probablement réussi. La critique avertie ne s'y est pas trompée et a reconnu le caractère exceptionnel de cet amplificateur. On a beaucoup apprécié sa transparence et sa fidélité, sa " facilité déconcertante qu'il a à démêler les écheveaux les plus ténus des compositions musicales complexes", la "vérité surprenante sur les inflexions des voix, avec toujours un caractère mélodieux"; "il dépasse sur de nombreux points, dans toute la région du bas-médium à l'aigu, fluidité, transparence, netteté des contours de notes ces références à lampes triodes", "Tout se passe comme si l'on avait ôté un voile de la face avant des enceintes", "ce Lavardin atteint des sommets de transparence rarement -ou même jamais- atteints".
Mais même si tous le situent le très haut, il dérange les habitudes et certains lui préfèrent encore des appareils ayant "une écoute plus expressive", regrettent "un léger manque de poésie dans le haut du spectre", tout en ayant l'honnêteté de reconnaître que "le Lavardin n'est pas de ces appareils qui enjolivent la réalité et la ouatent confortablement de sonorités moelleuses". Nous prenons ces avis en considération, mais nous pensons qu'ils sont liés au contexte ou qu'ils correspondent plus à des divergences d'ordre esthétique (pouvant être liés à des qualités objectives) qu'à des reproches techniques et nous sommes fiers d'offrir la meilleure qualité possible dans le sens nos choix esthétiques visant le plus grand respect possible du message musical et de l'émotion qu'il transmet.
Pour conclure, je peux dire que si les notions sur la distorsion qu'on m'avait apprises à l'école ont dues être heureusement révisées, les exigences de rationalité et de rigueur de ma formation m'ont permis de dépasser ceux qui ne connaissent pas ces valeurs. Mais l'aventure continue: les préférences des audiophiles pour le disque analogique m'ont déjà interpellé. J'ai déjà identifié un certains nombre de problèmes en audio numérique, liés à une application hâtive et non-rigoureuse du théorème de Shannon. Il y a, là encore, moyen de faire progresser la reproduction électroacoustique qui a pris le tournant irréversible du numérique. À suivre.....
(fin de cet article).
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