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La Revue des Télécom |
Quelles technologies pour la hi-fi du futur ? Revue des Télécom - juillet 1998 Direction technique des produits Lavardin Technologies L'ingénieur propose, le marché dispose Le marché de la hi-fi haut de gamme semble être devenu fou et échapper à toute rationalité. Le divorce est total entre les autorités techniques et les consommateurs. Sous la pression du marché, on assiste à un cas rare de résurrection technologique : le tube électronique de grand-papa est de retour pour l'an 2000.
Aussi déroutante que soit l'évolution actuelle du marché de la hi-fi, elle révèle finalement une grande clairvoyance des consommateurs.
L'évolution technologique n'est pas gratuite : d'une part, elle représente souvent des investissements de plus en plus importants (recherche, développement, lancement sur le marché) ;
d'autre part, elle doit engendrer un progrès réel, elle correspond donc à un besoin enfin satisfait, mieux satisfait ou satisfait à moindre coût.
Depuis Charles Cros et Thomas Edison, la reproduction sonore a bien évolué mais son objet majeur est resté fondamentalement le même :
la reproduction de sons musicaux. Le signal enregistré a un contenu esthétique et une dimension émotionnelle importante. C'est un art d'imitation, qui fait référence à un modèle à imiter et qui pose les problèmes esthétiques de fidélité de la copie.
A chaque évolution technologique des techniques audio, il s'est toujours trouvé des voix qui se sont élevées pour en contester le bien fondé et prétendre que la nouvelle technologie ne valait pas l'ancienne. Les tubes étaient plus musicaux que les transistors, l'enregistrement analogique bien supérieur au son digital. Il est vrai que, dans tous les domaines, chaque nouvelle technique peut souffrir de défauts de jeunesse et qu'il lui faut souvent accomplir des progrès pour pleinement répondre aux espoirs qu'on avait placés en elle. Avec ces améliorations, les contestations plus ou moins fondées se calment et l'ancienne technique est souvent vite oubliée.
Ce qui est particulier dans le domaine de la reproduction sonore, c'est que ces voix, provenant des utilisateurs les plus exigeants (ce qui est normal) ne se sont pas tues avec le temps mais qu'au contraire, elles se sont faites de plus en plus fortes et de plus en plus nombreuses.
Les affirmations de ces fanatiques du son, qui prirent le nom d'audiophiles, firent d'abord sourire les ingénieurs, car elles étaient en totale contradiction avec leurs mesures et assez peu rationnelles. Les audiophiles prétendent que, si l'approche métrologique contredit les impressions d'écoute, c'est que les mesures faites ne sont pas pertinentes, que les ingénieurs n'y entendent rien. Ils prônent une approche empirique qui permet à tout bricoleur de penser qu'il sait mieux faire que tous les ingénieurs des fabricants de matériel audio. Il s'est développé dans ce milieu une contre-culture technique qui échappe à toute rationalité et qui propage des recettes aussi inexpliquées que surprenantes, mais imparables pour obtenir un bon son: les alimentations doivent être surdimensionnées (sic), il ne faut pas utiliser la contre-réaction, le choix des composants échappe à toute logique, les condensateurs doivent impérativement être découplés par des condensateurs d'autres technologies, la visserie doit être en cuivre, les conducteurs en cuivre sans oxygène, ........etc.
Ces recettes semblent aller systématiquement à l'encontre des progrès accomplis et portent aux nues les réalisations les plus anciennes. Non seulement les tubes sont meilleurs que les transistors mais les meilleurs tubes ont été faits avant guerre. Les meilleurs haut-parleurs aussi. |
La réaction des fabricants
Mais finalement le sourire des ingénieurs s'est mué en embarras devant l'ampleur du phénomène de contestation. Celui-ci parti du Japon a fait de nombreux émules aux Etats-Unis et en Europe. L'ampleur de ce mouvement est devenu significative: dès 1994, une étude américaine chiffrait à 30 millions de $ le marché mondial des tubes pour l'audio et estimait à plusieurs centaines de millions de $ le marché des équipements correspondants (ces deux marchés étant en forte expansion).
Les grands fabricants ne pouvaient rester indifférents à de tels chiffres. Pour exploiter le marché hi-fi haut de gamme, les constructeurs sont allés dans le sens des audiophiles et ont proposé des produits sensés avoir un son meilleur grâce à de mystérieuses recettes (le mépris pour la métrologie affiché par les consommateurs visés autorise toutes les affirmations). Une marque affiche même un gourou (forcément oriental) qui signe des lignes spéciales de produits (on pourrait se demander pourquoi les autres produits qui sortent des mêmes chaînes de fabrication ne profitent pas aussi de ce "merveilleux" savoir).
L'engouement pour les amplificateurs à tube est tel que tout est devenu possible. Les chaînes de production d'un tube très réputé ont été remises en état aux Etats-Unis. On se remet à fabriquer certains appareils prestigieux du passé, mais comme certains éléments ne sont plus disponibles, ces répliques ont la réputation de ne pas valoir leurs modèles.
La reconnaissance économique de la démarche audiophile a fini de décrédibiliser les autorités techniques du domaine et a ouvert la porte à toutes les impostures: le marché hi-fi haut de gamme est encombré d'appareils très chers utilisant des tubes et ayant un son plus mauvais que leurs équivalents à transistors. On n'hésite pas à associer les tubes aux derniers cris de la technologie dans des appareils conjuguant tubes et processeurs de signaux numérisés (DSP) ou tubes et microprocesseurs.
Même les milieux professionnels se sont mis à cette mode et on s'est remis à faire des prises de son avec des préamplificateurs de micros à tubes et des magnétophones analogiques à lampes. Des revues sérieuses (voire professionnelles) dans les colonnes desquelles la polémique contre les audiophiles avait été très nourrie, se sont mises à publier des articles sur les électroniques à tube.
Tout cela est très déroutant pour ceux qui ont une bonne culture scientifique et il est tentant de rejeter les préférences d'un public qui se veut averti, en n'y voyant qu'autosuggestion nourrie d'obscurantisme. On peut aussi se dire que les technologies anciennes présentent plus de distorsions mais que celles-ci peuvent plaire : beaucoup de musiciens qui utilisent des instruments électroniques ne jurent que par les amplificateurs à tubes et utilisent des circuits générateurs de distorsion.
Malheureusement, il suffit seulement de prendre la peine d'écouter pour comprendre qu'il y a un réel problème et que l'autosuggestion ne saurait tout expliquer.
Après plusieurs années de recherche, on peut penser avoir trouver la clef du mystère. Les audiophiles ont raison quand ils disent que les mesures faites ne sont pas pertinentes. Ces mesures (de distorsion) semblent pourtant rigoureuses car elles utilisent des signaux de test sinusoidaux en application des théories mathématiques de Fourier et peuvent être d'une précision extrême (jusqu'à -140 dB). Malheureusement cette rigueur et cette précision sont illusoires car elles sont fondées sur des modèles simplistes des circuits et ignorent le monde réel. En particulier la notion de temps est perdue avec des signaux de test sinusoidaux: pour les mesures de distorsion linéaire (les théories de Fourier s'appliquent alors avec rigueur), on ne connaît que la phase; ainsi un écho parfaitement audible se traduit par une légère ondulation de la phase qui, si elle est remarquée, sera jugée inaudible. Pour les mesures de distorsion non-linéaire, l'utilisation des signaux de test sinusoidaux est d'une rigueur discutable (on fait l'hypothèse qu'un système est linéaire pour mesurer ses non-linéarités): on ne mesure avec ceux-ci qu'une fonction de transfert que l'on suppose être celle du matériel testé; mais si le comportement dynamique est différent du comportement statique, c'est-à-dire si la fonction de transfert est variable, on n'a pas mesuré LA fonction de transfert mais une fonction de transfert parmi d'autres; on est loin d'avoir caractérisé le comportement pour tous les signaux (pour plus de détails voir notre site Internet:www. lavardin.com).
Le renouveau du transistor.
La préférence des puristes pour les supports analogiques n'est pas non plus sans fondements. Les circuits numériques sont parfaitement conçus pour des signaux sinusoidaux et cela incite leurs concepteurs à les estimer également parfaits dans le cas de signaux musicaux, malheureusement on utilise le théorème de Shannon sans plus de rigueur qu'on a utilisé l'analyse de Fourier. Certains pensent qu'il est possible de pallier les défauts du son numérique en accroissant la finesse de l'échantillonnage, mais je crains que cette fuite en avant technique ne traite pas bien le problème. Des études en cours sur ce sujet devraient déboucher sur de nouvelles technologies numériques.
Il est également nécessaire d'étudier les systèmes de compression de flux de données audio. Ceux qui existent actuellement sont souvent basés sur des modèles psychoacoustique très contestables: ceux-ci résultent d'expérimentations conduites avec des signaux sinusoidaux. Or les phénomènes de perception acoustique sont hautement non-linéaires même à des niveaux très faibles. Ces modèles incluent ainsi des processus de masquage qui sont réels mais dont les extrapolations sont en contradiction avec l'expérience séculaire des musiciens (effets d'émergence du vibrato, par exemple).
Il faut savoir rester à l'écoute du marché et comprendre les raisons de ses réactions (même quand celles-ci sont déstabilisantes pour notre savoir). L'exemple des circuits électroniques audio montre qu'une insatisfaction des consommateurs peut conduire à définir des principes technique novateurs et originaux même dans des domaines qui semblaient complètement explorés et ne faisaient plus l'objet d'aucune recherche. (fin de cet article).
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